Créer un site internet

Le silence du dimanche

patricia voisin Par Le 09/11/2010

Nouvelle tirée de mon recueil : Soleil Touchant

 

 

 

Le Silence du dimanche

 

 

 

 

Elle est assise devant son clavier, les touches cliquettent au rythme de sa pensée. C’est pratiquement le seul bruit environnant. Parfois, les dimanches sont lents.

Elle a pris le risque d’aimer un homme. Elle a hésité puis s’est lancée dans l’arène. Parfois elle sent le bonheur qui palpite, là, au bout de ses doigts, le mot juste résonne, l’image et la mélodie jamais ne l’abandonnent. Parfois la panique prend le relais : le silence s’installe. Le blanc mange l’écran, le téléphone reste muet, le lit défait.

Il n’est pas là. Il n’est pas souvent là. On peut même dire qu’il est rarement là. C’est un courant d’air amoureux, un homme aux semelles mouvantes. Il poursuit sa quête comme si son sort en dépendait.

Son monde à elle, c’est son écran, la vie qu’elle y répand, les personnages et les péripéties qu’elle invente. Mais invente-t-on vraiment ? Elle écrit chaque jour. Plus il est loin, plus elle écrit.

 

Lorsqu’il revient, elle aime le voir arriver de loin, ils s’approchent chacun, le sourire accroché à leurs lèvres avides. Il la regarde, tourne un peu la tête pour l’admirer, car elle a mis sa plus belle robe, et quand enfin ils se touchent, les bras s’encordent, les corps s’aimantent et dans la nuit froide, ils s’étreignent comme de jeunes amants.

Avec lui, elle fait provision d’amour, de mots, de douceur invincible. Avec lui, elle retrouve aussi l’effroyable sentiment du manque et de l’absence. Elle joue les Pénélope, les Yseult, les Emma. Elle réinvente leur histoire, puisque la vivre est denrée rare.

Je voudrais que tu sois là, mon ange, que tu m’ouvres tes bras et que ta voix pénètre en moi : « mon cœur, ma chérie, ma blonditude d’amour, tu me manques, je t’aime tellement. » Dis-les encore ces mots, pour que j’y croies enfin. C’est tellement dur tu sais de ne pas avoir peur.

 

Ce ne sont plus des enfants, ils ont derrière eux, des mariages avortés, des histoires tragiques, des rêves envolés, mais ils portent en bandoulière, chacun à sa manière, l’espérance encore d’une vie toute entière tournée vers l’envie d’infini.

 

Autour d’eux, des couples se déchirent, les femmes pathétiques s’acharnent contre des hommes en partance, presque dans l’indifférence. Ils ne veulent pas ressembler à ça. Ils l’ont vécu déjà. Autour d’eux, les enfants grandissent, les parents vieillissent, la mort rôde et foudroie parfois sans prévenir. Ils sont à mi-parcours.

Ils prévoient des voyages, ils s’envolent amoureux et découvrent des lits inconnus, des draps blancs qu’ils froissent et s’endorment au milieu de la nuit, essoufflés et radieux.

 

Mais lorsqu’elle est seule, elle se bat pour que sa foi perdure, pour que le silence devienne protecteur. Les terribles dimanches sont tous gris. Elle a beau le savoir à l’autre bout du monde, un bruit de moteur en bas de chez elle et elle espère l’impensable, l’impossible, la surprise absolue. C’est ce qui fait qu’elle écrit. L’envie de surprises jamais assouvie, l’envie d’euphorie trop vite tarie.

 

Les humains sont ainsi : ils veulent l’aventure et la sécurité, le beurre et l’argent du beurre. Moi, je veux le corps de mon aimé, le corps et l’esprit, les mots et les pensées. Les caresses et les soupirs, les promesses et les projets, les serments illusoires. Je veux y croire.

Evidemment, c’est facile au début : l’envie remplace tout. Le manque rend l’autre idolâtre. Mais lorsque le temps aura passé, sauront-ils, eux, ne pas se déchirer ? Parviendront-ils à composer avec la réalité, les failles de chacun, et les divergences ?

 

Dans le silence du dimanche, elle se dit qu’ils seront capables oui d’être des adultes aimants, un havre l’un pour l’autre. Ils seront capables de tisser ces liens magiques qui tricotent les histoires d’amour exemplaires. Elle veut y croire.

Le cliquettement des touches l’accompagne, le bruit doux des mots qui s’agitent et trouvent leur place au creux de la page. Une portière claque en bas de chez elle, un moteur ronronne, une voix résonne. Puis le silence revient. C’est dimanche matin.