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début de Rebecca c'est moi, roman

Par Le 03/11/2020

REBECCA C’EST MOI

                       Patricia VOISIN

                              

                                          1

             Vers minuit, lorsqu’elle rentra du théâtre, Rebecca alluma son ordinateur : pas de message de Tom. Pas encore se dit-elle.

             Au matin, avant que le réveil ne sonne, elle interrogea encore l’écran gris. Rien. Elle savait qu’il la contacterait mais elle se troubla car les signes dans son corps recommençaient. La chamade, l’attente qui fourmille le ventre. Jusque là, elle les avait asservis tant bien que mal, mais ils reprenaient leur droit, leur place, leur force. Il fallait qu’elle soit vigilante afin de ne pas retomber dans les affres d’un passé somme toute récent et très perturbant. La douleur. L’agonie. Le lent acheminement vers la ruine. L’absolu qui demande sa dose d’adrénaline. Le manque vif, qui claque le long des cuisses.

Dès qu’il posait sa main sur elle, elle perdait tout sens commun. Même sa voix, uniquement elle, lui faisait cet effet-là. Alors évidemment, contre l’avis de tous, elle s’était abandonnée à nouveau, à ses bras, sa bouche, son corps solide. Ses mots caressaient son ventre, se perdaient dans l’humidité de son désir.

             Rebecca aurait pu se contrôler peut-être, si elle l’avait voulu. Mais elle ne le voulait pas. Elle se plaisait à retomber dans cette intimité presque oubliée, mais tant espérée, cette douceur revenue d’être avec lui, juste bien, pleine, envahie.

             Tom. Ces trois lettres comme des battements incessants : Tom Tom Tom.

             Son absence avait duré longtemps. Dans le silence : le décor n’avait pas d’importance. Il n’était plus là, c’est tout. Tom parti. Tom en allé. Presque sans un mot, en douce, un soir d’été. 

             Ca voulait dire quoi, recommencer ? Souffrir encore, pardonner ? Perdre le contrôle ? Elle s’en foutait, ce qu’elle voulait, c’était recommencer. Encore, oui, recommencer. Elle sentait ses entrailles en mouvement, son entrejambe qui s’écartait. Un message apparut sur l’écran : « je m’emmerde quand tu n’es pas là. Je t’attends. »

              C’était foutu. La petite musique de la passion s’était remise à fredonner, incessante, inaudible à tous les autres, mais si cristalline pour elle. Il revenait. Il revenait enfin.

             L’amour, ce petit mot tant galvaudé, ça avait toujours été la grande affaire de Rebecca, sa priorité, sa tragique obsession. Etre amoureuse, à tout prix, de n’importe qui finalement. Car, il fallait bien être honnête, Tom, sous sa plastique impeccable, était n’importe qui, un être vide et amoral. Sans son enveloppe florissante, il existerait à peine aux  yeux des autres, des femmes en particulier. Tout le monde en avait conscience, sauf elle. Au fond, si, elle le savait aussi mais refusait de s’en préoccuper. Elle préférait se lover dans ses bras, presque ne rien faire, se réfugier, se croire protégée. Et le leurre était immense, un désert, un no man’s land. Elle en voulait presque à ses amis, ses parents de leurs phrases ritournelles :  « il se moque de toi, il t’a trop fait souffrir, tu ne vas pas le reprendre quand même !… »

             Elle l’avait repris. Ou plutôt c’était lui : il avait tendu les filets une nouvelle fois et une nouvelle fois, elle s’était laissée prendre. Et la prendre, il savait le faire, au propre comme au figuré. Il caressait, elle jouissait, il continuait, elle jouissait encore, il pénétrait et ça recommençait. Comment ne pas croire que l’on compte lorsqu’un homme vous donne autant de plaisir ? Comment ne pas croire à ses mots, ses gestes ? Certaines femmes sont de vraies connes sentimentales et Rebecca portait leur bannière au sommet de l’aveuglement.

             Tom Tom Tom. Il n’y avait que cette musique-là, que ce rythme enchâssé au plus profond d’elle. Elle avait perdu toutes les autres mesures. Tom Tom Tom. Encore.

             Il était revenu en elle comme si de rien n’était. Le mâle en elle.

« J’ai fait n’importe quoi ». Cette pseudo excuse lui avait suffi. Ce qui comptait c’est qu’il soit là, n’est-ce pas ?

             Lorsqu’on croisait Rebecca dans la rue, on pouvait penser que c’était une belle femme de quarante ans, assez sûre d’elle, souriante et enjouée. Une femme qui mène sa vie comme elle l’entend. Pas de joug. Pas de contrainte. Une femme indépendante.

             Lorsqu’on connaissait Rebecca, on comprenait vite qu’elle était fantasque, romantique et que la réalité n’était pas sa tasse de thé. Elle voulait qu’on l’aime. Elle n’avait l’impression de n’exister vraiment que si le premier venu lui déclarait sa pauvre petite flamme. Alors elle enjolivait, transfigurait, embellissait une réalité somme toute peu glorieuse. Tom avait repéré la faille et s’y était engouffré avec beaucoup de talent. Avec tellement de talent d’ailleurs, qu’il avait comblé les vides, qu’il avait pansé les plaies. Il lui était devenu indispensable.

             Elles sont légion les Rebecca qui se laissent ainsi manipuler. C’est si facile de faire la part des choses lorsqu’on n’est pas concerné.

             Elle a acheté des jonquilles, ses affaires traînent au bord du lit, elle n’a pas la force de s’en débarrasser. Tom est parti. Encore une fois.

            

la chaloupe des hanches

Par Le 02/01/2011

 

La chaloupe des hanches

 

 

 

Le lit est défait, tes cheveux emmêlés

 

Tu souris comme à chaque fois après la ripaille

 

Du plaisir, ce sourire du fond des entrailles

 

Qui glisse le long de nos corps enchaînés

 

 

Qui parcourt mon ventre, mes jambes, ma bouche aussi

 

Et tes mains, tes reins, tes seins

 

Ca revient, ça monte encore, ainsi oui ainsi

 

Et la musique recommence, comme un nouveau matin

 

 

C’est de nouveau la cadence

 

La chaloupe des hanches en cadence

 

L’un dans l’autre la cadence

 

 

Les draps sont froissés, ta mine réjouie

 

Tu me regardes comme à chaque fois, quand le plaisir

 

Est passé, tes yeux transparents et ton rire

 

Tes yeux qui s’abaissent, tes yeux enfouis

 

 

Là au creux de mon ventre. Tu me défais,

 

Tu me dénudes, tu m’emportes encore, tu fais

 

La morte, puis tu soupires, tu me dis

 

Viens, viens encore, viens encore, si

 

C’est de nouveau la cadence

 

La chaloupe des hanches en cadence

 

L’un dans l’autre la cadence

 

 

Les volets sont fermés, tu es fatiguée

 

Mais ta peau encore si douce

 

Ta main velours s’approche, tu touches

 

Et tu dis je fais le café

 

 

 

La couette est jetée au pied du lit

 

Croissant, confiture myrtille, il est midi

 

Tes fesses fermes et rondes, tu souris

 

Tes seins lourds, tes joues rosies

 

 

C’est de nouveau la cadence

 

La chaloupe des hanches en cadence

 

L’un dans l’autre la cadence

 

 

 

Patricia Voisin

 

 

Le silence du dimanche

Par Le 09/11/2010

Nouvelle tirée de mon recueil : Soleil Touchant

 

 

 

Le Silence du dimanche

 

 

 

 

Elle est assise devant son clavier, les touches cliquettent au rythme de sa pensée. C’est pratiquement le seul bruit environnant. Parfois, les dimanches sont lents.

Elle a pris le risque d’aimer un homme. Elle a hésité puis s’est lancée dans l’arène. Parfois elle sent le bonheur qui palpite, là, au bout de ses doigts, le mot juste résonne, l’image et la mélodie jamais ne l’abandonnent. Parfois la panique prend le relais : le silence s’installe. Le blanc mange l’écran, le téléphone reste muet, le lit défait.

Il n’est pas là. Il n’est pas souvent là. On peut même dire qu’il est rarement là. C’est un courant d’air amoureux, un homme aux semelles mouvantes. Il poursuit sa quête comme si son sort en dépendait.

Son monde à elle, c’est son écran, la vie qu’elle y répand, les personnages et les péripéties qu’elle invente. Mais invente-t-on vraiment ? Elle écrit chaque jour. Plus il est loin, plus elle écrit.

 

Lorsqu’il revient, elle aime le voir arriver de loin, ils s’approchent chacun, le sourire accroché à leurs lèvres avides. Il la regarde, tourne un peu la tête pour l’admirer, car elle a mis sa plus belle robe, et quand enfin ils se touchent, les bras s’encordent, les corps s’aimantent et dans la nuit froide, ils s’étreignent comme de jeunes amants.

Avec lui, elle fait provision d’amour, de mots, de douceur invincible. Avec lui, elle retrouve aussi l’effroyable sentiment du manque et de l’absence. Elle joue les Pénélope, les Yseult, les Emma. Elle réinvente leur histoire, puisque la vivre est denrée rare.

Je voudrais que tu sois là, mon ange, que tu m’ouvres tes bras et que ta voix pénètre en moi : « mon cœur, ma chérie, ma blonditude d’amour, tu me manques, je t’aime tellement. » Dis-les encore ces mots, pour que j’y croies enfin. C’est tellement dur tu sais de ne pas avoir peur.

 

Ce ne sont plus des enfants, ils ont derrière eux, des mariages avortés, des histoires tragiques, des rêves envolés, mais ils portent en bandoulière, chacun à sa manière, l’espérance encore d’une vie toute entière tournée vers l’envie d’infini.

 

Autour d’eux, des couples se déchirent, les femmes pathétiques s’acharnent contre des hommes en partance, presque dans l’indifférence. Ils ne veulent pas ressembler à ça. Ils l’ont vécu déjà. Autour d’eux, les enfants grandissent, les parents vieillissent, la mort rôde et foudroie parfois sans prévenir. Ils sont à mi-parcours.

Ils prévoient des voyages, ils s’envolent amoureux et découvrent des lits inconnus, des draps blancs qu’ils froissent et s’endorment au milieu de la nuit, essoufflés et radieux.

 

Mais lorsqu’elle est seule, elle se bat pour que sa foi perdure, pour que le silence devienne protecteur. Les terribles dimanches sont tous gris. Elle a beau le savoir à l’autre bout du monde, un bruit de moteur en bas de chez elle et elle espère l’impensable, l’impossible, la surprise absolue. C’est ce qui fait qu’elle écrit. L’envie de surprises jamais assouvie, l’envie d’euphorie trop vite tarie.

 

Les humains sont ainsi : ils veulent l’aventure et la sécurité, le beurre et l’argent du beurre. Moi, je veux le corps de mon aimé, le corps et l’esprit, les mots et les pensées. Les caresses et les soupirs, les promesses et les projets, les serments illusoires. Je veux y croire.

Evidemment, c’est facile au début : l’envie remplace tout. Le manque rend l’autre idolâtre. Mais lorsque le temps aura passé, sauront-ils, eux, ne pas se déchirer ? Parviendront-ils à composer avec la réalité, les failles de chacun, et les divergences ?

 

Dans le silence du dimanche, elle se dit qu’ils seront capables oui d’être des adultes aimants, un havre l’un pour l’autre. Ils seront capables de tisser ces liens magiques qui tricotent les histoires d’amour exemplaires. Elle veut y croire.

Le cliquettement des touches l’accompagne, le bruit doux des mots qui s’agitent et trouvent leur place au creux de la page. Une portière claque en bas de chez elle, un moteur ronronne, une voix résonne. Puis le silence revient. C’est dimanche matin.

 

 

 

 

je hais moi sans toi

Par Le 29/10/2010

Article sur Anna de Noailles et Maurice Barrès

ANNA DE NOAILLES :

« JE HAIS MOI SANS TOI »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Anna de Noailles, le nom résonne, lumineux, presque trop somptueux. Quelques uns se souviennent encore aujourd’hui de l’égérie de Maurice Barrès, poétesse précieuse qui régnait sur le faubourg Saint Germain. Depuis moins de vingt ans, les lettres échangées par les deux écrivains, enfermées à la Bibliothèque Nationale, ont été rendues publiques. On se régale à découvrir cette correspondance volumineuse et digne où surgit, vibrant et passionné, le sentiment qui les lie.

 

 

Tout commmence en 1903. Anna de Noailles est reconnue comme une poétesse de génie. Elle a publié son premier recueil en 1901, Le Cœur Innombrable, qui lui a valu tous les succès (1). Elle est l’épouse enviée de Mathieu de Noailles et s’est déclarée dreyfusarde, par esprit de contradiction. Sa silhouette frêle et brune hante les salons où elle récite ses vers. Elle irrite ou elle subjugue, mais ne laisse pas indifférent. Elle a vingt-six ans.

 

Au mois d’avril, elle fait la connaissance de Maurice Barrès. Celui que la génération de 1890 avait appelé « Le Prince de la jeunesse » a un peu vieilli mais possède toujours cette aura que les échecs électoraux successifs n’ont pas ternie.

 

Dès le premier regard, il fera partie des subjugués. Il s’attend à découvrir la poésie personnifiée, mais Anna lui parle politique, l’interroge et clame ses opinions. La rencontre aurait pu tourner court. La dreyfusarde et le nationaliste convaincu auraient pu n’avoir rien à se dire. Mais déjà, l’attirance est plus forte que les divergences.

 

Et cet intérêt va grandissant, d’entrevue en réception, de dîner en salon. Anna et Barrès se rendent mutuellement visite avec leurs époux respectifs. Puis les conjoints disparaissent, lassés sans doute de ces conversations où seuls la poétesse et l’écrivain s’expriment. Lassés et surtout absolument pas dupes de l’attirance réciproque qui illumine les rencontres. Ils s’éclipsent. Mathieu de Noailles s’est écarté d’Anna, comme elle-même s’est détachée de lui. Quant à Paule Barrès, son union était avant tout un mariage de convenance.

 

Dès le mois de mai 1903, soit un mois à peine après leur première rencontre, Les Cahiers de Barrès sont plein d’Anna, son « beau souci ». Il est fasciné, passionné. Il aime sa langueur étudiée, sa nonchalance, son orientalisme, ses manières affectées, sa verve et ses vers aussi. Il aime l’encre des cheveux et le grain pâle de la peau. Il aime ses artifices et ses excès. Il aime tout court.

 

Et elle, Anna, que ressent-elle ? C’est peut-être plus complexe. Elle est flattée, mais aussi amusée et vite emportée par le tourbillon que lui offre Barrès. L’aime-t-elle ? Comme un frère spirituel, avouera-t-elle à l’Abbé Mugnier(2), son confident.

 

A son amie, Augustine Bulteau(3), elle confiera son « amitié si réelle pour cet esprit admirable dont l’attachement (lui) donne enfin, de la vie, une impression d’ordre, de profondeur et de paix ».

 

Elle veut laisser des traces, Anna, sur les pages et dans les cœurs. C’est cette image-là qu’elle peaufine, l’image de la princesse alanguie dans les coussins aux étoffes brillantes et soyeuses, l’image d’une femme au charme si fulgurant qu’on n’y résiste pas. Elle joue la délicatesse et l’éblouissement, et Barrès est ébloui, au plus profond de lui. Jusqu’à l’aveuglement. Difficile pour lui de faire la part du roman et de la réalité : Anna est une héroïne et il a besoin de cette drogue-là pour accéder au rêve. Il l’appelle « l’incomparable fée », la « magicienne », « mon bel incendie ». Elle devient son égérie. Et c’est exactement ce qu’elle veut : compter, laisser son empreinte, montrer au monde qu’elle existe. Elle habitera, indomptable, l’œuvre de Barrès, en ces années d’intense passion.

 

Barrès, par delà la femme, loue également l’œuvre d’Anna, et n’hésite pas à parler de son génie dès le mois de main 1903 :

« c’est dans ses vers qu’éclate son génie. Et Génie est bien le seul mot pour signifier le phénomène par lequel les plus beaux poèmes de ce temps se forgent dans cette jeune femme de vingt-cinq ans. Rien n’est au-dessus de Déchirement, Parfums dans l’ombre, C’est vrai je me suis beaucoup plainte , publiés dans la Revue des deux mondes du 15 juin. »(4)

 

Il va chez Anna tous les jours. La communion s’installe, et le désir aussi. Désir de Barrès, vif, affamé. Exacerbé.

 

Le 20 juillet, elle est aux Roches Noires à Trouville avec son mari et son fils. Les Barrès les rejoignent.

En septembre, les Barrès sont invités à Amphion, dans la propriété familiale des Brancovan, les parents d’Anna. Au printemps 1904, les deux couples se retrouvent en Italie. Cela pourrait ressembler à du vaudeville : le mari, la femme, l’amant de la femme, la femme de l’amant… Pourtant non. Mathieu de Noailles, émet cependant quelques réticences. Rejoindre les Barrès en Italie ne lui dit guère. Il a perçu l’évident élan et les liens entre sa femme et l’écrivain. Il retarde leur départ. Anna écrit à Barrès qui l’attend :

« Monsieur, je me tourmente, je suis très triste, je sens que vous croyez que j’hésite à partir, et en effet vous ne pouvez pas savoir que je suis prête, et impatiente de partir ce soir même, et que je supporte très mal la distraction de Mathieu et son fort entêtement à ne point se presser. » (5)

 

Début mai, ils se revoient dans la lumière florentine. A peine dix jours. Ils gravent ensemble souvenirs et serments. Anna parle toujours d’amitié, d’intense amitié. Barrès mêle le spirituel au charnel. La belle semble s’y refuser.

 

Cette passion platonique et immodérée lui convient tout à fait. Elle sait bien que ne pas se donner veut dire le garder. Elle ne veut p as faillir et sent que si elle descend des cimes où il l’a placée, si elle cède, elle n’en sera plus maîtresse. Et puis, elle sauvegarde les apparences. Pas d’adultère, juste une profonde amitié platonique.

 

En fait, au stade où ils en sont tous les deux, la nuance est légère. Et l’infidélité, même blanche est tout aussi vive. Même si les corps ne s’emmêlent pas, les esprits se possèdent. Et Barrès peu à peu, parviendra à l’accepter.

 

Pourtant, à son retour d’Italie, il est à l’agonie, désenchanté, désabusé. Le 7 juin 1904, il note dans ses Cahiers :

« Première impression d’une certaine lassitude et d’une certaine mauvaise humeur. – Las, à mon tour, de tout donner ou de tant donner. – Je mesure d’un œil dégrisé. Cette volonté de se faire désirer par l’univers, c’est intéressant par le don d’expression qu’elle y joint, mais c’est l’imagination vaniteuse d’une jeune femme d’officier, qui n’a pas vraiment l’échelle des valeurs. »

 

Le charme est-il rompu ? Non. Mais Barrès apaise sa passion, essaie d’occulter l’impérieux désir de la chair. Il est profondément déçu. Mais toujours amoureux. Il sombre et s’abîme. Puis reprend le dessus.

Anna a joué, l’a subjugué, et elle s’est refusée : la chair pour elle, ne constituait qu’une étape, un passage pas forcément obligé.

 

Lorsqu’elle est loin de Barrès, elle écrit des vers, des romans aussi. Elle lui écrit à lui, presque chaque jour. Elle l’appelle « mon ami » ou « Monsieur Chéri ».

 

La conscience est tranquille, puisque la morale ne condamne que le péché de chair et non la fusion spirituelle. Pourtant, si elle savait, la morale.

 

Le 18 janvier 1906, Barrès est élu à l’Académie au siège de José-Maria de Heredia. Lors de son discours d’investiture, l’année suivante, le 17 janvier 1907, il doit comme le veut la coutume, faire l’éloge de son prédécesseur. Et donc, de la poésie. L’événement parisien a attiré beaucoup de monde. Anna est présente. L’écrivain décrit ainsi l’effet de la poésie :

« Un trouble inconnu s’empare de nous, un besoin d’amitié tendre, d’amour impérissable, un désir de mourir pour celle que nous aimons, la certitude qu’elle est une fée » (6)

 

Anna baisse les yeux, en signe de fausse humilité. Tous savent qu’il est question d’elle. Et lorsqu’il ajoute : « il est des vers qui sont des flammes, on y consumerait sa vie », un sentiment de triomphe l’envahit, mais elle reste muette, un sourire à peine esquissé au coin des lèvres. L’éloge public, à peine voilé, c’est comme cela qu’elle conçoit l’amitié.

 

Trois mois plus tard, le 24 avril 1907, Les Eblouissements paraissent. Le 10 mai, Calmann-Lévy annonce la cinquième édition, « succès sans précédent pour un livre de poésie ». Sur la cinquantaine d’articles parus en France et à l’étranger, trois seulement sont hostiles.

 

Barrès, qui a avoué publiquement sa passion pour Anna et qui lui a dédié son Voyage à Sparte, vibrant hommage de son amour (vingt fois elle lui a fait recommencer la dédicace), aimerait être payé de retour et a demandé à la poétesse de lui dédier aussi publiquement Les Eblouissements.

 

Ce qu’elle fait avec le premier poème du recueil l’amitié :

 

« mon ami, nous mourrons, votre pensive tête

Dispersera son feu,

Mais vous serez encore vivant comme vous êtes

Si je survis un peu.

Un autre cœur au vôtre a pris tant de lumière

Et de si beaux contours

Que si ce n’est pas moi qui m’en vais la première,

Je prolonge vos jours. »

 

La dédicace est la suivante : « A mon cher ami Maurice Barrès, en infinie amitié ».

 

Seulement Mathieu de Noailles s’y oppose catégoriquement. Le poème liminaire et la dédicace disparaissent. Anna s’en explique à Barrès :

« Un jour, deux mois avant le 2 avril, mon mari à qui je parle de vous dédier mon livre me dit que c’est impossible, que notre amitié, si pure, si innocente n’en est pas moins l’objet d’un malveillant scandale, et enfin, me dit que, puisque je n’ai jamais dédié de livre à personne, à ma mère, à lui, au petit, il me le défend. Si je passais outre, c’était chez moi, la rupture. » (7)

 

Mais Barrès, persuadé de la perfidie d’Anna et considérant la menace de son mari comme un prétexte, s’est fâché, et a décidé de cesser toute relation :

« Adieu mon amie,

Il est inutile de m’écrire ; je n’ouvrirai pas vos lettres. Je sais votre facilité pour tout dire.

Daignez agréer, Madame, les respectueux souvenirs de l’ami que vos finesses ont offensé mortellement.

Maurice Barrès » (8)

Est-ce la véritable cause de leur rupture ? Barrès s’est-il senti tellement vexé qu’il a abandonné Anna ?

Cécile Sorel, dans son livre de souvenirs (9), propose une autre version. Avant d’être le soupirant éperdu d’Anna, Barrès avait été l’amant de la comédienne. Après leur rupture officielle, il continuait de lui rendre des visites amicales. Elle rapporte dans son livre qu’un jour (19O7 ?), Barrès affolé, demande à la voir. Il lui explique qu’Anna a décidé de transformer leur chaste passion en aventure : « Elle veut me jeter hors de ma vie, hors de mon œuvre. Elle veut être ma souveraine ».(9)

 

Barrès s’est installé confortablement dans cette relation platonique. Il l’accepte, ne cherche plus autre chose. Et voilà qu’Anna s’embrase. Vivre ! Elle veut vivre au grand jour avec l’homme qu’elle aime. Elle veut quitter son mari, partir. Les malles sont faites, elle a trente ans, elle n’est plus une petite fille.

Barrès monte dans le fiacre qui est venu le chercher chez Cécile Sorel. A l’intérieur, Anna en tenue de voyage. Partir. Tout abandonner. La gloire, l’Académie, le confort bourgeois et la tradition. Partir impossible.

Anna ne lui pardonne pas. C’est ainsi qu’on pourrait comprendre sa phrase à l’Abbé Mugnier : Barrès est sorti de ma vie « comme un misérable. »

 

Hormis dans le livre de Cécile Sorel, on ne trouve nulle part trace de cet épisode. Alors, qui croire ?

 

La poétesse est amoureuse, c’est certain, cette obsession de l’amour fusionnel qu’elle a toujours recherché, elle pense l’avoir trouvé avec Barrès, au moment-même ou celui-ci, las d’avoir tant attendu, s’éloigne. C’est le propre des passions.

 

Alors que Cécile Sorel dise ou non la vérité importe peu. Une chose est évidente, et sa correspondance le prouve : Anna va se mettre à adorer l’homme qui commence à la fuir, jusqu’à l’épuisement, mais jamais jusqu’au renoncement.

 

Il est important de noter qu’après Les Eblouissements, alors qu’elle publiait un livre par an, il faudra attendre 1913 pour lire de nouveau ses poèmes en un recueil : Les Vivants et les Morts.

 

La rupture avec Barrès la laisse vidée. Blessure d’amour-propre, mais surtout d’amour tout court. Ses vers d’alors reflètent la douleur et l’amertume :

 

« Et vos gémissements m’annoncent tout à coup

Les enivrants malheurs pour lesquels je suis née » (10)

 

Et ce poème à la transparence pathétique :

 

« Ne verrais-je jamais vos fraternels regards,

N’entendrais-je jamais votre voix rassurante ?

Quoi ! même avant la mort, il est de tels départs ?

(…)

Je ne veux plus savoir tant ma vie est exsangue,

Si c’est vous, ou si c’est l’univers qui me manque. » (11)

 

Mais plus encore que les vers, ce sont les lettres d’Anna à Barrès qui expriment l’infini de l’amour et la souffrance devant l’absence. Lettres d’Anna conservées à la Bibliothèque Nationale. Lettres d’Anna, à l’écriture compulsive, rapide, à peine lisible où éclate la douleur. Lettres d’une femme désemparée, isolée, qui balaient d’un coup l’image sophistiquée et précieuse de la belle orientale vaniteuse.

 

Elle pleure, elle implore, elle quémande, comme toutes les amoureuses rejetées :

 

« Mon ami, que ne suis-je morte quand votre cœur, votre esprit, votre caractère me semblait divins, quand toute mon âme était fière de vous, quand vous me consoliez de la mort, quand vous étiez mon repos, mon paradis et ma gloire éternelle. Mon ami, je suis à bout de forces, de paroles, je suis exténuée, brisée, déçue jusqu’à mourir (…). Mon ami, dîtes à chacune de vos journées que vous m’empêchez de vivre, que vous avez mon sang sur vos mains. Ne me répondez pas à présent vous me feriez trop mal. Ah mon ami, mon ami ! Je mets ma douleur, ma main dans votre main.

A.N. »(12)

 

Un mois plus tard, à Londres, le cri d’Anna retentit encore :

« Aucune absence, fût elle de vingt années, ne me délie de mon serment d’éternelle amitié. Tous les besoins des êtres, la faim, le repos, la vanité, je les ignore ; je suis sourde à ce qui n’est pas la voix de mon cœur pour vous. (…) Mon ami, mon amitié est divine, ne brisez pas dans un moment de colère, de démence, cette plus grande chose sur la terre. Je m’en remets à vous pour rétablir, quel que soit le temps qu’il faille y mettre, ce lien sublime. (…) Si vous étiez mort, j’aurais été plusieurs fois par an, et jusqu’à ma mort, sur la place où vous eussiez reposé. Moi vivante et vous vivant, comment accepter cette plus morte mort. » (13)

 

Elle tombe malade, comme à chaque problème rencontré. Elle restera alitée six semaines.

 

Barrès, quant à lui, continue son ascension mondaine, politique et littéraire. Anna devient un merveilleux souvenir, un fragment charmant du temps où il était soupirant. Anna et l’Orient. Barrès est en train de tourner la page. Et le rythme de ses lettres diminue.

 

Pourtant, Mathieu de Noailles, est toujours jaloux, inquiet, furieux même :

« Monsieur,

sans qu’il soit besoin d’explications superflues, je vous avise que toutes relations soit de correspondance, soit de visites, doivent cesser à partir d’aujourd’hui entre votre maison et la mienne. » (14)

 

Lorsqu’Anna apprend le geste de son mari, elle est éperdue. Comment renoncer ? C’est impossible. Elle écrit à Barrès, le jour-même :

« Mon ami, j’ai manqué mourir, je vis avec des fous, mais que rien de tout cela ne vous touche. Mon courage est à toute épreuve, je ne crains rien ; ne vous inquiétez de rien pour moi, tout ce qui m’arrive pour notre amitié m’est cher. Je vous écrirai demain. » (15)

 

Et les lettres s’échangeront encore grâce à des intermédiaires : lettres plus rares, plus tristes, jusqu’en 1909.

 

Anna continue à fréquenter les amis communs et se lie davantage avec le neveu de Barrès : Charles Demange. Demange a une admiration passionnée pour son oncle et se veut son émule. Il cultive la ressemblance, malgré ses cheveux blonds, et bien sûr, tombe amoureux d’Anna.

 

Comme tous les autres, elle le laisse s’exalter. Seulement la marivaudage va cette fois tourner à la tragédie : l’amoureux transi se tire une balle dans la tête. Sur sa table, dans la chambre d’hôtel, des lettres. L’une est pour Anna, d’amour et de reconnaissance :

« Je me tue.

Je vous ai follement aimée. Votre amitié était le mieux que je puisse rencontrer sur terre.

Merci – et merci à mon oncle qui m’a fait vous connaître. » (16)

 

Barrès va dès lors, considérer la jeune femme comme unique responsable. Lorsqu’elle apprend la nouvelle, elle reste sans voix, prostrée. Plus tard, elle essaiera de s’expliquer. En vain.

 

Une ère nouvelle s’ouvre alors pour Anna, toute d’amertume, exacerbée bientôt par la guerre et les deuils.

 

Depuis le 14 février 1912, les époux Noailles ont opéré une séparation amiable.

En 1913, chez Fayard, paraît le recueil des douleurs : Les Vivants et les Morts.

 

Anna a envoyé son livre à Barrès. Il ne réagit pas.

 

Et la guerre, la « sanglante démence », fait tomber les hommes, un à un, dans la boue des tranchées.

Verdun. L’enfer blanc et rouge. Elle lit les articles de Barrès. Elle a peur. Et la nostalgie rebondit, à fleur de sa mémoire. Barrès, le frère, le miroir, l’ami perdu.

 

1917. La passion reprend ses droits. Les lettres recommencent. Barrès a 55 ans, Anna, 41. Et entre eux, tant de souvenirs. La flambée se surprend à renaître, après dix années d’obscurité. Le docteur Marthe Lobre, amie d’Anna, qui a œuvré à leur réconciliation, évoque en ces termes la reprise de leur relation :

« Cette fois, elles devinrent plus intimes et tous deux, pendant quelques mois, connurent un véritable bonheur. » (17)

Passion assouvie ? Peut-être. Mais cela change-t-il vraiment quelque chose à la force de l’attachement ?

 

Le 12 septembre 1917, Barrès écrit à Anna : « (…) Comme je pense à vous, mon amie, et que je souffre que nos vies ne puissent pas paisiblement s’unir à tout ce qui m’est cher et à toutes les images que je retrouve ou que j’accueille. »

 

Les poèmes écrits pendant la guerre paraissent en 1920 et deviennent Forces Eternelles.

 

Puis, vient le temps de la consécration : La Légion d’Honneur avec Colette et Proust en 1920. L’année suivante, elle est élue à l’Académie Belge de Langue et de Littérature Françaises (où lui succèdera Colette en 1933). En 1924, la revue Eve lui décerne le titre de « Princesse des Lettres », en en 1931, elle sera la première femme Commandeur de la Légion d’Honneur.

 

En 1922, Barrès publie Un Jardin sur l’Oronte, livre plein d’Anna. Ce n’est plus l’éblouissement des années passées, mais le constat un peu désespéré de l’attachement. Il suffirait de ne citer que cette phrase : « Il comprenait qu’il avait entendu un chant magique et pour la vie subi une toute-puissante fascination. »

 

Il dédie le numéro 1 à Anna, en ces termes :

« A Madame de Noailles, hommage de la plus fidèle amitié au génie. »

 

Barrès est souvent malade, Anna également. Les corps s’enlisent lentement, mais les esprits continuent de se mêler. Le 11 mai 1923, Barrès écrit à Anna une courte lettre où il lui dédie l’ensemble de son œuvre. Plus qu’une lettre d’amour.

 

« Tout ce que j’ai éprouvé de plaisir et de douleur dans la vie, c’est à vous, Madame, que je le dois, à vous que j’appelais avant même que je ne vous eusse rencontrée. Vous étiez dans Les Barbares, dans Les Déracinés, dans Du Sang, dans tous mes premiers livres aussi bien que dans Sparte, les Amitiés, la Colline et l’Oronte. Ainsi mon œuvre s’est placée, malgré moi, sous votre invocation, et maintenant je demande qu’un jour votre nom qui fut le rêve et le secret de ma vie soit inscrit à la première page de ce qui pourrait survivre de votre ami,

Maurice Barrès. » (18)

 

Le 4 décembre, c’est la mort de Barrès. En famille. Pas de place pour Anna. Aux obsèques Nationales, à Paris, sa présence n’est pas souhaitée.

Elle est allée à Neuilly, dans la chambre aux murs nets. Barrès en habit noir, un crucifix sur la poitrine.

 

Elle tombe malade encore. Puis elle écrit. Beaucoup. Le deuil, la douleur. Elle parle au disparu peut-être :

 

« Je sens que tu es mort et ne le sais jamais ! »

« Et la plus morte mort est d’avoir survécu… »

« Je cherche en vain l’oubli, l’espoir, l’inconscience

Pour être délivrée enfin de ton absence ! »

« Je songe à ce soupir dans Rome,

J’ai été tout, et tout n’est rien ! »

« L’esprit sombre et froid,

Je hais moi sans toi. » (19)

 

Cri déchirant, avec lequel, elle trouve enfin le chemin de la simplicité.

 

En 1933, elle a 56 ans. Elle a consulté des psychiatres, des neurologues, mais rien n’y fait. Elle est malade d’elle-même, à l’intérieur.

 

C’est son dernier spectacle, ses adieux à ses amis. Une phrase pour chacun. Elle dit qu’elle souffre.

 

Le dimanche 30 avril, elle s’éteint. Elle n’a pas raté sa sortie. Dans la famille, dit-elle, on meurt toujours le dimanche.

 

 

 

 

 

 

Patricia Ferlin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NOTES

 

 

 

1. Le Cœur Innombrable va bientôt être (re)paraître aux Editions Ex æquo, dans la collection Hors Temps, dirigée par Patricia Ferlin. La collection propose une série de rééditions d’ouvrages d’auteur(e)s oublié(e)s de la Belle Epoque. Après le Cœur innombrable, viendront La Maison du Péché, roman de Marcelle Tinayre (1902) et Etudes et Préludes, poèmes de Renée Vivien (1901)

 

2. L’Abbé Mugnier, le curé des Lettres, a tenu un Journal de 1879 à 1939, publié au Mercure de France en 1985.

 

3. Augustine Bulteau est romancière et journaliste. Elle publiera sous les pseudos de Foemina et Jacques Vontade. Elle devient la confidente d’Anna en 1896.

 

 

4. Claude Mignot-Ogliastri, Anna de Noailles, une Amie de la Princesse de Polignac, Méridien Klinckieck, 1986, pp. 184-185

 

5. Lettre d’Anna de Noailles à Maurice Barrès, 22 avril 1904 in Correspondances d’Anna de Noailles et Maurice Barrès 1901-1923, annotée par Claude Mignot-Ogliastri, Editions de l’Inventaire, p.136.

 

6. Claude Mignot-Ogliastri, op.cit, pp.218-219

 

 

7. Lettre d’Anna de Noailles à Maurice Barrès, 21 mai 1907, in Correspondance, op.cit, p.636.

 

 

8. Lettre de Barrès à Anna de Noailles, 2 avril 1907, in Correspondance, op.cit., p.589.

 

 

9. Cécile Sorel, Les Belle Heures de ma Vie, Monaco : Editions du Rocher, 1946, p.169.

 

 

10. Anna de Noailles, in Les Vivants et les Morts, Fayard, 1913.

 

 

11. Ibid. « Je dormais, je m’éveille ».

 

12. Lettre d’Anna à Barrès, 21 mai 1907.

 

13. Ibid., 21 juin 1907.

 

14. Lettre de Mathieu de Noailles à Maurice Barrès, 23 octobre 1907, in Correspondance, op.cit., p.635.

 

 

15. Lettre d’Anna à Barrès, 23 octobre 1907.

 

 

16. Correspondance, op.cit., p.XXIX.

 

 

17. Correspondance, op.cit., p.675.

 

18. Lettre de Barrès à Anna, 11 mai 1923.

 

19. Anna de Noailles, in L’Honneur de souffrir, grasset, 1927.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Œuvres d’Anna de Noailles :

 

Le Cœur innombrable (1901)

L’ombre des Jours (1902)

La Nouvelle Espérance (1903)

Le Visage émerveillé (1904)

La Domination (1905)

Les Eblouissements (1907)

Les Vivants et les Morts (1913)

De la rive d’Europe à la rive d’Asie (1913)

A Rudyard Kipling (1921)

Le Florilège contemporain : comtesse de Noailles, poésie, roman (1922)

Discours à l’Académie Royale de Belgique (1922)

Les Innocentes ou la sagesse des femmes (1923)

Poèmes de l’amour (1924)

Passions et vanités (1926)

L’Honneur de souffrir (1927)

Poèmes d’enfance (1929)

Choix de poésie (1930)

Exactitudes (1930)

Le Livre de ma vie (1932)

Derniers vers (1933)

Derniers vers et poèmes d’enfance (posthume, 1934)

Douze poèmes (posthume, 1946)

 

 

 

Autour d’Anna de Noailles :

 

Anna de Noailles de Claude Mignot-Ogliastri, Méridien Klincsieck, 1986.

Correspondance d’Anna de Noailles et Maurice Barrès 1901-1923, annotée par C. Mignot-Ogliastri, éditions de l’Inventaire, 1994.

Les Belles Heures de ma vie de Cécile Sorel, éditions du Rocher, 1946.

Anna de Noailles, un mystère en pleine lumière 1876-1933 de François Broche, éd. Robert Laffont, 1989.

Femmes d’encrier de Patricia Ferlin, éditions de Bartillat, 1995 (biographies de six auteurs de la Belle Epoque : Anna de Noailles, Gyp, Marcelle Tinayre, Colette, Renée Vivien et Rachilde).

 

 

 

 

 

 

les émotions ont-elles une âme ?

Par Le 29/10/2010

Article écrit pour un colloque sur les émotions

Premier billet du blog

Par Le 24/10/2010

 TEXTE INEDIT...

AMARE

(verbe latin qui signifie Aimer)

 

 

 

 

 

Il est des jours tranquilles, où la contemplation pour seule compagne, je me dis que la vie s’écoule comme l’eau douce. Le temps se fige. Pas un pas ne crisse sur les cailloux clairs. Pas un bruit ne vient taillader le silence de la nature encore endormie. Je me dis que le bonheur n’est pas qu’un concept, je peux le toucher, du bout des doigts. Il est là, lisse, tendre, soyeux sous la paume de ma main.

Il est des jours tempête où cette image vole en éclats. L’eau douce devient torrent violent, les hurlements intérieurs occupent, en rangs armés, mon esprit enchaîné. Ces jours-là, la vie s’écroule, je plonge dans les abîmes et je lâche les amarres. Je perds pied, prête à me noyer. Mes poumons s’épuisent, la chamade survoltée dérègle tous mes sens. Puis soudain, comme par miracle, le calme revient, improbable d’abord, puis serein. Il revient. D’un coup de talon, je remonte, je reprends souffle. Je regagne le bord, je m’accroche, je me tiens, tout va bien.

 

J’ai toujours eu besoin d’un phare, d’une boussole, au moins d’un jalon, d’un point de mire en fait pour guider ma route, un socle solide sur lequel m’arrimer. Est-ce qu’un plot de béton armé ferait l’affaire ? Ai-je une corde assez longue pour l’atteindre et maintenir mon cap ?

En ai-je encore besoin, la quarantaine dépassée ? Je crains que oui.

Au fond, est-ce si grave ?

Parfois je suis indécise, incisive, rétive, parfois je suis volontaire, je refuse de me taire, je laisse parler ma chair.

Je suis de celles, insatisfaites, qui mêlent à leurs baisers ce léger goût d’inachevé. Je suis de celles, angoissées, qui craignent le grain de sable qui viendra tout enrayer.

 

Au bout de la chambre, l’eau veille. De mon lit, je la regarde, attendrie, immuable. Je ne ferme jamais les volets. Et lorsque entre chien et loup, elle disparaît dans le ciel, je continue de fixer l’horizon tout doucement charbon.

 

Enfin ses phares apparaissent. Ses pneus glissent sur le gravier. Sa portière claque. Sa main trouve la poignée grinçante. Il ne prend pas le temps d’enlever son blouson. Il grimpe l’escalier. Dans la pénombre, je souris, et j’attends ce moment unique où je sentirai ses mots doux voleter autour de mon cou, ses mots doux qui un à un picorent mon corps.

 

Patricia